Voici le début de de L'autre côté de la brume, roman jeunesse d'un peu moins de 170k sec, destiné à des 9-11 ans. Bonne lecture !
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Chapitre 1
Tom, les joues en feu, se tassa sur sa
chaise pour se faire le plus petit possible. Il aurait préféré cacher sa
tignasse brune sous le bureau, s’il l’avait pu, mais ce genre de comportement
lui aurait sans doute valu une punition. Sans compter qu’il n’empêcherait pas
les ennuis qui l’attendaient dès la sonnerie de la récréation.
Et pour cause : monsieur Lombardu,
le professeur de français, avait encore décidé de lire la rédaction de Tom à la
classe. « Un excellent récit, avait-il annoncé en détachant bien les
syllabes, d’un niveau hors d’atteinte pour de nombreux élèves. »
Tom, tandis que le professeur lisait,
sentait les regards de Meddy et de Quentin, trois rangs derrière lui sur la
gauche. Avec ses oreilles légèrement décollées, en ce moment aussi rouges qu’un
feu de signalisation, son trouble ne pouvait pas leur échapper.
La seule chance de Tom, que Lombardu ne
le retienne pas à la fin de l’heure. Ainsi il pourrait sortir parmi les
premiers et courir se mettre à l’abri de la jalousie bagarreuse de ses deux
camarades de classe.
Pour essayer de calmer les battements
affolés de son cœur, Tom tenta d’écouter la lecture. Ça lui donnait toujours
une impression étrange d’entendre des mots à lui dans la bouche d’un autre,
comme des picotements sur la peau, désagréables.
« ... alors un jet de flammes
embrasa la végétation touffue qui s’agrippait le long des vieux murs en pierre
de taille et, tandis qu’il faisait soudain clair comme en plein jour, une
chaleur caniculaire enveloppa le chevalier. La lame effilée de son épée happa
les rougeoiements de... »
Ddddrrrriiiiiinnngggggg.
Lombardu s’interrompit. D’un geste vif,
il replaça ses lunettes qui glissaient vers le bout de son nez, attendit la fin
de la sonnerie puis, contrairement à son habitude, ne poursuivit pas la lecture :
« Bravo pour votre vocabulaire,
Tom, dit-il en lui tendant sa copie. Vous avez largement mérité votre 18. Les 6ème
B, ce sera tout pour aujourd’hui. Mira, vous resterez quelques instants pour
remplir votre fiche de renseignements. »
Tout en rangeant au plus vite ses
affaires dans son sac à dos, Tom leva le regard vers la nouvelle élève arrivée
ce matin. Elle le regardait avec des yeux gris ardoise pétillants, sourire aux
lèvres.
Se moquait-elle de lui ou avait-elle
aimé la rédaction ? Difficile à dire. Et, d’ailleurs, peu importait.
Le couloir du deuxième mesurait trois
mètres de large, mais Tom le trouvait en cet instant particulièrement étroit.
Il se faufilait entre les grappes d’élèves qui se déversaient depuis les salles
situées de part et d’autre.
Les grands de 3ème, surtout,
marchaient avec une exaspérante lenteur, parlant fort, roulant des épaules
comme s’ils étaient les maîtres du monde. Tom, qui tentait de fuir, se trouva
soudain enlisé. C’était l’anniversaire d’une grande brune aux cheveux coupés
ras, maquillée comme une adulte. Ses copines n’avaient rien trouvé de mieux que
de la féliciter au milieu du couloir, endiguant l’épais flot d’élèves qui
tentait de rejoindre les escaliers.
Tom se retourna. Pas de chance !
Il croisa le regard de Meddy qui le héla aussitôt :
« Eh, Tom Pouce,
attends-nous ! On a un truc à te dire ! »
Tom crispa les mains sur les bretelles
de son sac à dos. Il détestait ce surnom humiliant que ses deux bourreaux lui
avaient trouvé en tout début de CM1, lorsqu’il mesurait encore une bonne tête
de moins qu’eux. Il le détestait d’autant plus qu’il lui collait maintenant à
la peau, bien qu’il fît désormais plus d’un mètre cinquante. Quelquefois, même
des élèves que Tom n’avait jamais vus l’interpellaient ainsi.
« Non mais il se prend pour qui,
celui-là ! »
Espérant ne pas être davantage freiné
dans sa fuite, Tom bredouilla des excuses inaudibles au sac à dos façon
panthère qu’il venait de heurter de plein fouet. Sa propriétaire grommela,
histoire de prouver qui avait le dernier mot, mais se préoccupant visiblement
de toute autre chose. Tom ne chercha pas à savoir de quoi. Il se faufila vers
les portes battantes bleues qui donnaient sur les escaliers.
Derrière, Meddy et Quentin
slalomaient-ils aussi rapidement ? Tom le saurait bientôt, de toute façon.
Ils le rattrapèrent sur le palier qui
séparait le deuxième étage du premier, et le lui firent savoir en tirant un
grand coup sur son sac. Puis ils le poussèrent contre le mur, où Quentin le
maintint plaqué d’une pression des mains sur les épaules :
« Alors, mon petit Tom Pouce, dit
celui-ci en marquant les syllabes à la manière du professeur de français, on
t’avait pourtant prévenu de ne pas faire l’intello.
— Oh, lâchez-moi, vous savez
bien...
— Que tu fais pas exprès, c’est ça ?
Arrête de te ficher de nous. On en a marre de passer pour des débiles à cause
de toi. »
Quentin avait tort. Il aurait eu l’air
d’un débile même sans la comparaison avec Tom. Pareil pour son inséparable
copain. Mais mieux valait ne pas faire le malin devant ces deux idiots qui
intimidaient toute la classe. Tom fit le gros dos :
« Ouais, mais j’ai eu quatre en
maths.
— C’est vrai, Tom Pouce, tu fais
des efforts. Dis-nous que t’es un gros nul et on te laissera peut-être
tranquille. »
Tom regarda au-delà de la haie formée
par les épaules de Meddy et de Quentin. Les élèves descendaient les escaliers
sans prêter la moindre attention au trio. Il vit même trois filles de 6ème
B. Non, quatre. La nouvelle, Mira, se trouvait là aussi, quelques pas après les
autres. Elle tourna légèrement la tête en passant sur le pallier, sourcils
froncés comme si elle interrogeait Tom du regard. Il sentit ses joues
s’enflammer.
« Alors, Tom Pouce, t’es muet ou
quoi ?
— Je... je suis un gros nul.
— Ah ! Tu le reconnais.
T’auras mis le temps, microbe.
— Et tu sais ce qu’on leur fait,
nous, aux gros nuls ? »
Tom n’eut pas le temps d’imaginer la
réponse que, déjà, Quentin le bousculait pour ouvrir son sac à dos. Il saisit
la trousse de Tom et la fit passer de l’une à l’autre de ses mains, un sourire
méchant sur le visage.
« Faites pas ça ! »
Aussitôt la trousse passa dans les
mains de Meddy qui commença à jouer avec l’embout de la fermeture éclair. Heureusement,
il se contenta de lancer la trousse en haut des escaliers, fermée.
« Oh, le petit Poucet a perdu sa
trou-trousse !
— Allez, va chercher la
trou-trousse, Médor ! Nous, on a pas le temps de jouer avec toi. On a des
affaires à régler.
— Ouais, parce qu’il faut qu’on se
présente à la nouvelle.
— Et qu’on lui explique les règles
de la classe. »
Tom hésita. Il devait récupérer sa
trousse piétinée en haut des escaliers. Était-il plus urgent de mettre Mira en
garde contre les deux brutes ? Non, la nouvelle avait sans doute rejoint
le groupe de filles qui la devançait. En plus, cela ne servirait à rien. Tom
n’était pas de taille à s’interposer. D’ailleurs, personne dans la classe
n’était de taille. Tom, après tout, n’était pas plus lâche que les autres.
Il laissa Meddy et Quentin s’éloigner
vers la récréation, restant sur le palier en attendant que le flux d’élèves
diminue, les yeux fixés au sol au cas où sa trousse descende les escaliers
comme un ballon de foot.
Chapitre 2
Il était dix-sept heures dix et déjà la
pénombre s’était abattue sur toutes les barres d’immeubles du quartier :
murs gris, vitres reflétant du gris, ronronnement gris des moteurs de voiture.
Dans cette grisaille, les vêtements vifs des collégiens attiraient l’œil. Tom
marchait d’un pas rapide, comme à son habitude, en laissant glisser son regard
d’un groupe à l’autre.
Lui préférait rester seul. À quoi bon
des amis si ceux-ci vous laissaient tomber dès que des Meddy ou des Quentin cherchaient
un punching-ball ? Enfin, ce n’était pas ce soir que ces deux-là
viendraient le harceler. Pour une fois, Tom pouvait rentrer du collège sans se
tenir sur ses gardes.
Quentin avait en effet disparu après la
récréation et son acolyte, depuis ce moment-là, avait affiché un air soucieux
que Tom ne lui connaissait pas. À vrai dire, cet air-là, ainsi que l’absence
des deux élèves concernés, confirmaient la rumeur qui s’était répandue dans le
collège à la vitesse du célèbre coyote : la nouvelle de 6ème B
s’était battue contre Meddy et elle avait eu le dessus.
Comment cela était possible, Tom
l’ignorait, mais il s’était surpris à sourire plusieurs fois en y repensant, et
il ne regrettait pas du tout de ne pas avoir prévenu Mira.
Il souriait encore lorsque les
réverbères clignotèrent soudain, le faisant presque sursauter, puis
s’allumèrent tout à fait pour déverser de pâlottes flaques de lumière. Tom
bifurqua sur sa gauche, via le gazon, en direction de son allée. Machinalement,
il leva le nez. Chez lui, au sixième étage, une fenêtre était éclairée. Il
soupira.
La télévision beuglait depuis le salon
lorsque Tom poussa la porte du minuscule appartement où il vivait avec sa mère.
Elle ne l’entendit pas entrer. Alors Tom se dirigea vers la pièce où elle se trouvait
et se posta sur le seuil, reprenant son souffle d’avoir grimpé les étages à
pieds. Il attendit un jingle pour saluer.
Sa mère demeura assise et lui répondit
sans lui accorder le moindre regard. Tom devait pourtant attirer son attention
s’il voulait éviter les ennuis avec ses professeurs.
« M’man, j’ai eu un problème
aujourd’hui au...
— Combien de fois devrais-je te
dire que les affaires de gosses se règlent entre gosses ?
— C’est ma trousse. Je... »
La mère de Tom se tourna légèrement.
Elle avait les traits tirés et le regard aussi terne que la peinture défraîchie
de la pièce. Son visage encadré de cheveux blond vénitien impeccablement
coiffés ne dégageait aucune chaleur.
« Quoi, ta trousse ? »
Tom ne pouvait dire à sa mère que les
stylos étaient de petites bêtes incroyablement timides et fragiles, trop
rapidement effarouchées lorsque des collégiens les piétinaient, d’autant
qu’elle semblait d’une humeur massacrante... Il regarda les lacets blancs de
ses baskets et pensa qu’il allait se faire réprimander de ne pas les avoir
enlevées dès l’entrée.
« Non, rien, m’man, déclara-t-il.
Désolé de t’avoir dérangée. »
Après tout, en bricolant avec le scotch
qui lui restait, peut-être pourrait-il réparer son matériel abîmé. Et s’il n’y
parvenait pas, les professeurs, qui ne l’avaient pas encore réprimandé pour
absence de matériel, lui laisseraient peut-être une chance. Il serait toujours
temps de quémander quelques euros plus tard. Ce week-end, par exemple.
« Tu me caches quelque chose,
c’est ça ? interrogea la mère de Tom.
— Non, m’man.
— Et ton carnet, ça fait combien
de temps que tu ne me l’as pas montré ? »
Sa mère s’était levée. Tom comprit le
message. Il fit glisser son sac de son épaule et, quelques instants plus tard,
présentait son carnet à l’inspection maternelle.
Il bouillait intérieurement, incapable
de savoir si cet intérêt soudain lui faisait plaisir ou, au contraire,
l’exaspérait. Sa mère s’occupait si peu souvent de lui... C’était mal sans
doute de lui reprocher de le faire.
« Tu vois, m’man il n’y a rien de
grave.
— Tom, je suis sûre que tu me
caches encore une mauvaise note. Tu es désespérant.
— Mais...
— En maths, je parie ! Pour
changer... Est-ce que je ne te répète pas assez qu’il faut être fort en maths
pour réussir dans la vie ! »
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